Portelaube

La statue... Je n'arrivais pas à en détacher mon regard. Depuis combien de temps l'observais-je ? Je n'en savais rien... Je n'en sais toujours rien. Mais je sentais la présence du Porteur de Lumière, à jamais figé dans une pose triomphale, brandissant son marteau, libram à la main... Et cette statue, éclairée qu'elle était par cette lumière venue de nulle part au beau milieu de ces terres de ténèbres, soutenait mon regard...
Et puis, soudain, plus rien.
C'avait été comme si j'avais fermé les yeux pour les rouvrir et découvrir que le monde que je connaissais avait disparu... Autour de moi, tout était blanc. L'herbe. Les arbres. Seul le ciel conservait une teinte bleue... Mais bizarrement, je n'avais à aucun moment été désappointé. Au contraire, je me sentais... Complet. Un monde inconnu dans néanmoins familier... Même mon armure avait été troquée pour une simple bure blanche. Mais je n'étais pas surpris.
Pourquoi ?
Je fis quelques pas. Cette terre était réellement étrange... J'étais en haut d'une grande falaise. En bas, la plage semblait de sable fin, lui aussi blanc... L'eau elle-même semblait briller sous les rayons d'un soleil d'une blancheur immaculée.

- Pas mal, hein, mon garçon ?

Je me retournais lentement : un homme se tenait derrière moi, lui aussi habillé d'une bure blanche, qui ne cachait rien de son imposante musculature. Sur son épaule reposait un immense marteau. Et son visage... Nul n'aurait pu manquer de le reconnaître.
J'inclinais légèrement la tête en signe de salut.

- Frère Uther.
- Allons, mon garçon...

Le Porteur de Lumière s'avança vers moi, et posa sa puissante main sur mon épaule. Je me sentais frêle, insignifiant, face à la puissante du premier Chevalier de la Main d'Argent...

- Sais-tu quel est cet endroit ?

Je haussais les épaules.

- Non, frère.
- Mais pourtant, on s'y sent mieux que n'importe où ailleurs, pas vrai ? Rétorqua-t-il avec un sourire.
- Oui, frère.
- Ne sois pas si formel, mon garçon ! Détends-toi ! Si je suis ton frère, tu n'as pas à être crispé comme ça... Mais dis moi, sais-tu ce qu'est ce que tu ressens ?
- Non... Mais ça m'a semblé tellement naturel... Je me suis à peine posé la question.
- Bien ! Ceci, mon garçon...

Il passa son bras libre autour de mes épaules, et nous nous rapprochâmes du bord de la falaise...

- Ceci, reprit-il, est ce que l'on ressent lorsque la Lumière vient vous arracher aux Ténèbres.
- La mort... Dis-je dans un souffle.
- Oui. Mais tu n'es pas mort. Seulement, tu es le Rédempteur... Tu as été choisi par la Lumière.
- Cet endroit... C'est la Lumière ?
- Loin de là ! Je ne sais pas si cet endroit existait avant cet instant, et je ne sais pas s'il continuera d'exister après... Mais pour l'instant, il est là, et nous aussi. C'est ce qui importe.
Je ne répondis rien. Il n'y avait rien à dire.
- La Lumière, comme je te le disais, t'as choisi. Je ne suis aujourd'hui que son messager. Comme tu le sais, la Lumière a choisi de veiller sur l'Humanité...
- Louée soit-elle.
- Louée soit-elle. Donc, elle a choisi de veiller sur l'Humanité... Et le premier de ses prêtres était un homme bien. Sans doute le meilleur. Il disposait de connaissances immenses... Il était presque capable de comprendre la Lumière aussi bien que moi, un mort. Et tout était dans son libram.
- Vous voulez dire que le pouvoir de ce livre est comparable à celui du Porte-Cendres ?
- Comparable en termes de puissance, peut-être... Mais pas en termes d'utilisation ! Ce libram, mon garçon, contient des prières que nous qualifierons d'"originelles". Elles en appellent simplement au pouvoir de la Lumière, mais à un niveau tout autre... Tu ne trouveras pas dans cet ouvrage le moyen de combattre le Mal. Seulement d'assister la Lumière... Des moyens de guérir. D'absoudre. Mais pas de détruite, même la plus abjecte créature.
- Et ce libram... Où est-il ?
- Je ne sais pas... Quelque part, loin dans les terres du Nord. Il a fait du chemin, a changé plusieurs fois de mains... Ta première tâche sera d'en retrouver la trace. Et cela, tu devras le faire seul.
- Seul ? Pourquoi ?
- Pourquoi es-tu venu à mon tombeau ?
Sa question me surprit.
- Pour me repentir, mais...
- Ton comportement et tes actions exigent effectivement pénitence. Vas-y seul, mon garçon, et la Lumière t'aura pardonné.
Je pris une grande inspiration. J'en avais besoin.
- Oui, frère.
- Très bien, mon garçon ! J'aurai aimé te rencontrer de mon vivant... Nous aurions pu faire des choses ensemble.
- Que voulez-vous dire ?
- Que tu dois rentrer chez toi... Désormais, ton devoir sacré est de retrouver ce libram ! Pour cela, reçois un nom qui sera tien jusqu'à la fin de l'éternité en lieu et place de celui que tu t'es forcé à abandonner dans les ruines de Stratholme...

Je ne compris pas très bien ce qu'il se passait. Uther posa son immense main sur mon front...

- Tu es désormais Kelric Portelaube, car ta tâche et ta victoire apporteront une aube nouvelle aux fidèles... Va, Rédempteur ! La Lumière Sacrée attend !

Et, à l'instant d'après, j'étais dans les Maleterres. J'étais couché sur le ventre, face contre terre... Je portais mon armure, et ceignait mon épée. La voix du Porteur de Lumière résonna à mes oreilles, devenant de plus en plus faible, comme si je m'éloignais rapidement...

- Nous nous reverrons dans la mort, mon garçon...

Par contre, cette fois-ci, j'étais déboussolé. Pris de vertige, j'essayais de me relever... Sans vraiment de succès. Je sentis une main m'agripper le bras... je levais la tête, presque sûr de me retrouver face à Uther. Mais non. Le seul Uther présent était une statue... Non, c'était le prêtre Elfe de la Nuit.

- Monseigneur Rédempteur ? Vous allez bien ?
J'inspirais un grand coup pour réprimer un haut-le-coeur avant de répondre :
- Oui, mon ami. Oui, je vais bien.

Bien que la sensation s'estompait vite, quelque part encore, je me sentais complet. Je n'avais fait qu'un avec la Lumière, l'espace d'une demi-seconde... Cela m'avait paru durer une vie entière. Oui, j'allais bien.

[PS HRP : ] Non, le fait qu'il y ait "aube" dans ce nom de famille n'a rien à voir avec le Pèlerin des Aubes.