[La Tombée de l'Hiver] Chapitre I : Le vol du Corbeau.

Krapthok observa avec contentement le feu crépiter dans l’âtre. Même un Orc rompu aux marches forcées pouvait apprécier ce genre de confort. Dehors, la nuit abattait lentement ses ailes sur Kalimdor, et la terre noire et fumante accueillait sans joie un vent glacé. Les prochaines heures promettaient d’être fraîches et ennuyeuses. Machinalement, la main de Krapthok vint caresser ue petit coffret de bois pieusement posé sur l’unique table de la pièce. Ses doigts dansèrent le long de l’incrustation qui ornait son couvercle, et reconnurent sans surprise le corbeau aux ailes repliées qui lui était si familier. Une pensée le submergea tout à coup et l’emplit d’angoisse. Il porta fébrilement sa main à la poche de son pantalon. Un soupir de soulagement accompagna finalement ses recherches, la clé était toujours là.

On frappa tout à coup à la porte de la petite habitation. Trois coups distincts et fermes, suivis de deux coups brefs. Krapthok reconnut sans mal le code qu’on lui avait donné, et attendit comme convenu qu’il fut répété une fois encore. Les secondes passèrent, mais plus aucun bruit ne perturba le silence. Grommelant d’inquiétude, l’orc s’empara d’une vieille dague qui traînait sur la table, au milieu des carcasses de son précédent repas, et se redressa, prêt à frapper.

« Entre donc ! », aboya-t-il, d’une voix cassée.

Son invective n’eut guère de succès. Alors qu’il songeait déjà à ouvrir lui-même la porte pour briser le cou de celui qui se jouait ainsi de lui, ses yeux furent attirés par une tâche sombre et humide qui semblait s’étendre au sol, depuis le pas de la porte vers l’intérieur de la pièce. Elle avançait lentement, se mêlant avec la poussière et la terre pour former une boue compacte et sale. Krapthok s’avança, fébrile, et trempa son doigt dans l’étrange liquide qui formait déjà une vaste flaque. Tout à coup, il comprit, et ses yeux furent submergés de panique. Haletant, les dents grinçantes, il retira sa main avec dégoût.

« Du sang.. Qu’est-ce que… »

Il n’eut pas le temps d’achever, et n’eut guère conscience des quelques secondes suivantes qui l’amenèrent à la fin de sa vie. La porte vola en éclat, et une masse gigantesque fonça sur lui dans un hurlement terrible. La main de Krapthok songea à fendre l’air avec sa dague, mais n’en eut pas le temps. Une lourde épée venait déjà de lui déchirer le poitrail, et il s’affala lourdement, sans pousser le moindre cri.

L’énorme assaillant hurla de plus belle, ses yeux d’orc gorgés de rage, le visage couvert de terre et de sang, le corps trempé de sueur. Ses yeux repérèrent immédiatement le coffret et ses mains s’en emparèrent avec avidité. Il examina longuement le verrou qui le maintenait fermé, et ses canines de fauve s’exhibèrent en un large sourire. Sans ménagement, il revint sur ses pas et entreprit de fouiller consciencieusement le cadavre. Rapidement, il trouva la clé que Krapthok cachait dans sa poche, et la fit tourner fiévreusement dans la serrure de l’écrin. Un cliquetis se fit distinctement entendre, et le couvercle fut soulevé, avec d’infinies précautions. A l’intérieur, un cerclage en cuivre enserrait ferment une fiole d’acide reliée à la serrure. L'agresseur ôta soigneusement le dangereux mécanisme et découvrit avec satisfaction les papiers intacts qui se trouvaient juste en dessous. Il s’en saisit avec avidité, les parcourut, puis les jeta dans l’âtre et rugit une dernière fois, avant de sombrer dans le silence et le calme.

Lentement, il enjamba le cadavre encore tiède de Krapthok et se trouva dehors. Devant lui, il retrouva la dépouille du Troll qu’il avait surpris à son arrivée. La tête du malheureux gisait à plus de dix mètres de son tronc.

L’orc s’agenouilla enfin, s’accordant quelques instants de repos. Il délaça une petite bourse accrochée à sa ceinture, et en sortit un petit médaillon de cuivre, dont la peinture bleue avait été soigneusement grattée. Il grommela :

« Asakt’tha…Quelle terrible idée, Alamaneth... »

Lettre anonyme adressée à "l'Ordre des Quatre Tours, à Madame la Commandeur de la Plume, Hurlevent".

Citation :

Madame la Commandeur,

Vous me pardonnerez de ne pas épeler mon nom sur ce papier, dès fois qu’il serait intercepté. Faut être discret quand on joue l’espion, hein ! Mais je suis sûr que vous vous souviendrez de moi sans peine. Nous avions passé récemment un petit accord de principe pour l’échange d’informations, suite à une transaction portant sur un objet issu d’une contrefaçon malheureuse.

J’ai pas mal fureté dans tous les coins et les recoins d’Azeroth ces temps-ci, pour trouver la provenance de cette babiole qui vous tient visiblement tant à cœur et rend vos gens si nerveux et prompts à séquestrer un honnête marchand. Eh bien je l’avoue, Ricter était un gars bien et semblait simple, mais il savait mener ses affaires. J’ai eu beau demander à tous ses amis, à tous les commerçants à qui il vendait ses biens, personne n’a été susceptible de me donner le nom d’un seul de ses fournisseurs. Il voulait vraisemblablement garder une sorte d’exclusivité, si vous voyez ce que je veux dire.

Toujours est-il que j’allais abandonner les recherches, parce que ma foi il faut bien vivre et que mes marchandises ne s’écoulent pas tout seul, j’allais abandonner, dis-je, lorsque je suis tombé par le plus complet hasard sur un gobelin de Baie-Au-Butin qui s’y connaissait pas mal en antiquités, du moins mieux que moi visiblement. Kassgrin Pokassé, qu’il se faisait appelait (mais c’est un pseudonyme de scène, car oui, les gobelins usent de pseudonymes ! Ces gens-là se disent artistes de la vente, oui Madame ! Croyez-moi ou non, ces peaux-vertes ont une vision déplorable du commerce, absolument tout est bon pour vendre, et contrairement aux honnêtes gnomes de mon genre, ils n’ont aucun scrupule à rouler l’honnête client !). Bref, j’étais là pour acheter des vases nains rarissimes qu’on aurait trouvé au fond d’un lac chaud d’Un’Goro, lorsque la discussion dérive par hasard sur le médaillon. Croyez-moi ou non, le bougre vert m’a affirmé qu’on avait déjà essayé de lui en refourguer ! Il en avait pas voulu, et avait confronté le troll qui avait essayé de lui vendre la camelote (oui, c’était un Troll, grand, bleu, avec des défenses, vêtu d’habits trolls typiques et qui parlait le Troll, à ce que je me suis laissé dire). Je crois que ça s’est fini en pugilat, je ne vous conterai pas tous les détails, enfin bref, d’après Kassgrin, cette pacotille doit être fabriquée quelque part en Kalimdor, et j’embarque ce soir pour Cabestan, histoire d’étendre mon cercle de fournisseurs. Je pense pouvoir vous dégoter la source de production de votre amulette. Enfin, on se comprend !

Bien sûr, je ne prévoyais pas d’aller aussi loin, et ma foi, ça fait des frais inattendus qui risqueraient de couler ma petite entreprise. Je connais votre mansuétude, et je suis certain que vous aurez des scrupules à laisser couler la main qui vous aide avec tant de ferveur !

(Note : 20 pièces d’or suffiraient)

Votre Dévoué

T.